Viviane...Merlin
J'irai dans l'oubli, au-delà du bien et du mal, me réconcilier avec moi-même
(Michel Rio, Merlin)
Au beau temps de la jeunesse...
(création perso)
C'était un jour plein d'eau et de feuillage qui s'attardait aux fontaines. Tous les chemins étaient creux avec des haleines de puits. Merlin marchait derrière Viviane. Elle avançait vivement de peur qu'il ne s'attarde, que le souvenir d'Arthur ne le rappelle vers l'orée. Une fois enfouis au coeur des frondaisons, les racines sauraient le retenir. Mais si proches des lisières, un signe de l'extérieur traversant le couvert pouvait encore l'arracher à l'emprise végétale. Elle lui avait demandé de mettre sa robe des forêts, celle qui commandait aux arbres, aux roches moussues et dont la bure se mouchetait ainsi que le pelage du daim. Elle avait mis toutes les ruses de son côté et il le savait. Il laissait les herbes effacer leur passée. Un martin-pêcheur faufila le ciel et la rivière tout le long de la berge voisine. Merlin soupira sur tous eux qu'il quittait dans leur aube de gloire : ces preux chevauchant à travers les vergers enrubannés de printemps, vers les tours de Camelot parées pour les noces d'Arthur et de Guenièvre. Il allait auprès d'eux, jeune encore, chassant de ses pensées l'ombre accrochée à ses pas. Lancelot prit la main de la reine et l'aida à descendre. Elle dit un mot sans qu'elle y pensât, un de ces mots qui font à travers le coeur de mystérieux chemins et qu'entendrait Mordred encore ensommeillé dans un nuage lointain :
- Que vois-tu Merlin ? l'avait interrogé Morgane tandis qu'accoudé au créneau, il devinait la plaine couverte de cadavres sur lesquels se défiaient deux silhouettes de fer dans un fatal estoc.
Il ne les abandonne pas, il quitte un monde où les clairvoyances ne sont plus entendues. Il a déjà connu tant de rois - Wortingen, Ambroise-Aurélien, Uter-Pendragon - dont les puissantes voix à jamais se sont tues alors qu'à la branche d'aubépin chante toujours le roitelet des bois. Sa mémoire plonge dans les vieux âges au temps des chênes et des Fées. Il se souvient des forêts de Calidon, d'Arnante et de Brecquehem, de ce cercle de pierre où un Duz lui souffla dans l'esprit quand les hommes sortaient à peine du limon et rampaient au milieu des sauriens. Il les avait vus se lever, tituber et lutter pied à pied la suprématie d'un royaume contre la brute rivale. Alors il s'éloignait vers de sauvages ermitages, cherchant au fond des cavernes les accès refermés du Monde Fortuné. Elle, peut-être, le ramènerait là-bas. Il l'avait rencontrée à la cime de mai, couchée sur la margelle de Barenton, la fontaine qui rit quand on y jette une épingle et ouvre les rivières des cieux si on arrose sa pierre. Elle était Nymphe galloise et s'appelait Vivlain. Toujours, il l'avait retrouvée quand il s'abandonnait à ses folles pensées.
Viviane entendait tout cela pendant qu'ils marchaient côte à côte, comme ils avaient si longuement voyagé ensemble. Cette fois, se disait-elle, je ne le laisserai plus repartir. Et elle portait un regard ému sur sa taille qui s'était courbée, sur son visage raviné et le flot de sa barbe blanchie.
Elle se souvenait de leur première étreinte, elle, la fille de la lune et de l'eau, fée de fontaine, effarouchée d'abord par ce dieu forestier, du chêne et de la pierre.
Il avait ôté sa ramure de cerf et la pelisse de loup pour s'accoler à elle.
Elle lui épargnerait la trahison de Guenièvre et de Lancelot. Ce Lancelot qu'elle avait jadis enlevé à sa mère, Elaine, selon la coutume des Fées, et élevé pour être chevalier-Fé. Elle lui cacherait le déclin de Morgane et l'agonie d'Arthur.
Viviane le tiendrait loin d'un monde que les Fées une à une avaient fui. Elle l'enfermerait dans ce bosquet d'aubépine où étaient nées leurs amours et qu'elle déroberait à la vue de tous, derrière les remparts d'illusions, que Merlin lui avait appris à ériger lorsqu'ils s'échangeaient les formules de leurs sciences secrètes.
Mais sans doute savait-il déjà tout du piège que Viviane était en train de tresser autour d'eux. Hier, il avait averti Arthur de son départ sans retour. Qu'aurait-il pu changer au destin d'un royaume pourrissant, sur quoi ses enchantements n'avaient plus de prise : "J'emporte dans l'éternité un éclat de ton coeur, mon roi, mais je n'ai plus ici de place, depuis qu'on a fait une croix d'une branche d'Yggdrasil"
Souriant dans sa barbe végétale, Merlin regarde Viviane
tracer de gracieux gestes en récitant les paroles d'oubli...